Publication : « Le groupe pictural Cobra et l’Écriture ». Éditions du Septentrion.
Maison des Artistes : L 94 22 13 Siret : 432 330 405 000 15
En permanence dans les Musées et galeries:
Musée Jakovsky, Nice
Musée d'Arts Singuliers de Laval
Musée d'art moderne, LAM, Villeneuve d'Ascq
Musée de la Création Franche, Bègles
Musée Guislain, Gand, Belgique
Collection Cérès Franco, Lagrasse. Montolieu
Collection Philippe Aïni, Servies en Val
Galerie Yukata Miyawaka, Kyoto, Japon
Galerie 170, Poitiers
Galerie Home Art, Perros-Guirec
Galerie Art Actuel, Nogent sur Marne
Galerie Otero, Saint Paul de Vence
Principaux Salons et Festivals en France :
Salon d'Automne, Champs Élysées, Paris- Tokyo-Le Caire-Tunis – Sarria -1998 – 2018
Salon Comparaisons, « Art en Capital », Grand Palais, Paris 2017
Salon de l'A.I.A.P -Unesco, Cité des Arts, Paris 2015. Genève 2016
« Échappée Belle » du Salon d'Automne à Perros-Guirec. Commissaire de l'exposition 2015
Salon «Happy Art», Musée de Pau 2012. Orangerie du Sénat, Paris 2014
Espace des Blancs Manteaux, Le Marais, Paris 2011
Biennale du Château de Rully. Invitée d'honneur 2010
Festival d'Avignon. Palais des Papes 2010
Salon ArtMetz, Metz 2003 – 2010
Salon du dessin. Grand Palais, Paris 2009
Puls'Art, Le Mans. Invitée d'honneur 2009
Salon 109, Cité des Arts, Paris 2007
St'Art, Strasbourg 2004
Musée de la Halle Saint Pierre, Paris 2002
… et à l'étranger :
Invitée au Musée de la Femme, Mexico, Mexique 2018
National Art Center.Tokyo, Japon 2017
Salon des Arts d'Amérique Latine, São Paulo, Brésil 2013-2017
Palais des Artistes, Saint-Pétersbourg, Russie 2016
Musée de Minsk, Biélorussie 2016
Biennale d'Art et Littérature, Le Caire, Égypte 2009-2014 (Prix d'art et de littérature)
Musée de Västernorrland, Härnösand, Suède 2013
Fiac de Séoul, Corée 2010
Fureaï Hall Gallery, Tokyo, Japon 2008
Fiac de Gand 2008
Invitée d'Honneur au Lycée Français de New York 2006
Fiac d'Istanbul, Turquie 2005
Fiac de Shanghai, Chine 2004
dans le dédale des songes d’hier et de demain…
Voilà un peintre qui dérange et bouscule notre manie de cataloguer. Dans quel courant pourrait-on bien l’insérer ? Où placer sa monographie ? Sur l’étagère près du Douanier Rousseau, parmi ceux de COBRA, entre Karel Appel et Corneille ? Ah non, plutôt vers Dubuffet et Gaston Chaissac. Hélas, rien à faire, il faut se rendre à l’évidence… : Danielle le Bricquir est inclassable !
Et pourtant, ne partage-t-elle pas avec le célèbre Douanier une poétique audacieuse, celle d’une visionnaire du réel, locatrice permanente de cet « ailleurs » totalement étranger à notre monde contemporain… Ne partage-t-elle pas avec les peintres de COBRA un expressionnisme puissamment coloré et plein de dynamique ? Ne partage-t-elle pas avec les pionniers de l’Art brut une inspiration affranchie de tout préjugé culturel, où les personnages figurés sont à la fois poétiques, ironiques et tragiques ?... Il était difficile pour Danielle Le Bricquir, historienne de l’art et spécialiste du mouvement Cobra, de ne pas intégrer les différents vocabulaires plastiques qui ont nourri son esprit, ses yeux, son âme !
Pour autant, le tour de force de notre artiste est d’affirmer une singularité totalement émancipée des références dont elle revendique néanmoins l’importance, comme le marin revient toujours au port… Son navire à elle part d’où finissent les terres et nous emporte au large des côtes bretonnes, d’où l’artiste contemple le monde. Ses expositions sont autant d’évènements où nous découvrons les images réalisées au cours de ses « traversées ». Derrière le primitivisme apparent se cache une sensibilité exacerbée, une perméabilité au rêve d’où s’échappe l’onirisme éperdu de Danielle Le Bricquir.
Certainement, il faut être une artiste, une grande artiste, pour réussir à mettre en scène dans une même composition les personnages d’une légende bretonne, ce paradis de l’enfance qui ne cesse de fertiliser son imaginaire fiévreux, et la vision d’une société contemporaine d’où l’immoralité mercantile –voyez ce ciel chargé de dollars dans le Cirque du Monde exposé au Salon d’Automne de 2010 !...- est désignée, dénoncée, et…parfaitement intégrée à l’œuvre. Là réside, en dehors des satisfactions que son chromatisme délectable procure à nos yeux de spectateurs, ce qui rend la peinture de Danielle Le Bricquir essentielle à nos yeux : l’artiste opère une synthèse créatrice lourde de significations sans jamais sacrifier l’intensité plastique de l’œuvre. Et pour ce qui nous concerne il nous plaît de regarder le monde avec les yeux de Danielle Le Bricquir. Un monde entre rêve et réalité, un monde où les songes accompagnent et nourrissent la distanciation critique de notre contemporanéité, un monde que seule une artiste-poète, une artiste-fée capable de déployer tous les sortilèges de la forme et de la couleur, pouvait faire surgir. A l’évidence sa reconnaissance internationale témoigne de l’universalité de son esthétique qui se partage par-delà les frontières. Bienvenu, lecteur, amateur d’art, collectionneur, dans l’univers de Danielle Le Bricquir !
Benjamin Loustau
Commissaire
Galeriste
Danielle Le Bricquir
Les combats de l'innocence
Certes, il faut de l'utile, mais il faut aussi de l'agréable. Si vous vous proposez d'instruire par des préceptes directement formulés, qu'ils soient brefs, et si vous cherchez simplement à amuser l'imagination, demeurez dans la vraisemblance. Au reste, l'oeuvre qui emporte tous les suffrages est celle où l'utilité du fond s'enveloppe de l'agrément de la forme.
Horace, L'art Poétique
A l'instar d'Horace (et de Rabelais), l'oeuvre de Danielle Le Bricquir possède cette qualité rare de mêler l'utile à l'agréable : de donner à voir, avec infiniment de poésie et de candeur, les drames politiques, économiques et sociaux qui déchirent notre époque. Telles de jolies fleurs masquant leur conscience critique sous l’apparente douceur de leurs formes, elles possèdent, comme toutes les grandes oeuvres satiriques, deux faces : elles sont dialogiques : elles participent à de multiples « jeux de langages ».
Côté pile, elles charment leurs spectateurs par le choix de leurs couleurs, la simplicité de leurs figures, la subtilité de leurs compositions. Toujours soucieuses du jugement de leurs spectateurs, les oeuvres de Le Bricquir savent insuffler à chaque sujet qu'elles traitent – que ce sujet fasse référence à un mythe archaïque, un conte populaire, un événement politique, une figure intellectuelle – un grain de poésie. Côté face, en revanche, elles ne cessent d'interroger nos préjugés, de déstabiliser nos croyances en nous suggérant, par le biais du baiser qu'elles savent déposer sur le corps tendre de notre imagination, les linéaments d'un discours bien plus complexe : d'un discours qui, par les mille et un détails subtils qui le composent, est capable de nous dévoiler les arcanes d'un monde toujours prêt à basculer dans l'horreur ou la confusion.
« Mon oeuvre, en apparence, est simple, directe, naïve : elle fait référence à l'enfance, à la tendresse. Mais, sous cette cette apparence enfantine, elle est aussi profondément politique – comme celle de Prévert. C'est pourquoi mon style, en un certain sens, est un leurre, un onguent, un baume : il est le masque que je pose sur la cruauté du réel. Pour le dire autrement, c'est un pas de côté, comme certain le font quand ils se lancent dans l'abstraction. »
Dans une toile comme L'Eternel Retour, par exemple, toile dont le sujet n'est autre que la figure ô combien emblématique de Frida Kahlo, ce qui frappe, d'abord, c'est la vivacité des tons bleus, rouges et verts qui donnent à l'oeuvre sa charpente visuelle, puis la délicatesse avec laquelle les oiseaux tropicaux qui entourent Frida semblent se parler et former autour de leur « maitresse » comme un cercle magique et bienveillant. Mais à cette première scène exotique, s'en ajoute bientôt une autre – pour qui sait la regarder – une scène grisée dont chaque élément (le totem inca, la dame espagnole(s) au visage voilé(e) nous raconte l'envers de la première scène – de la scène colorée.
Ce n'est plus, alors, l'image de Frida Kahlo « la victorieuse » qui s'impose à nous, mais l'image du conflit identitaire dont elle fut l'emblème : l'image en demi-teinte d'une femme tentant de maintenir, envers et contre tout la récupération médiatique qui a été faite d'elle, le contact avec l'histoire sanglante du peuple de ses ancêtres d'un côté, et, de l'autre, son désir tout féministe et queer (et par conséquent tout européen) de pouvoir revendiquer son droit à ne jamais avoir à se soumettre à des injonctions éthiques ou culturelles qui tendraient à la priver de sa liberté de paroles et de mouvements.
On l'aura donc compris, l'oeuvre de Danielle Le Bricquir est à double tranchant. Avec la brosse de ses pinceaux, elle caresse (dans le sens du poil) l'oeil de ses spectateurs et leur donne à voir ce qu'ils sont capables d'entendre; tandis qu'avec le scalpel de ses visions (qui ne sont pas sans rappeler le réalisme magique de Frida Kahlo), elle incise, à même la surface polie de leurs illusions, l'entaille de son propre activisme qui, bien avant qu'elle ait su trouver dans la peinture son mode d'expression par excellence, avait déjà trouvé dans l'activisme politique directe (et notamment dans le combat pour le droit à l'avortement), un mode d'expression à la hauteur de sa révolte.
Puissent les toiles de cette artiste continuer longtemps encore à dispenser – à qui voudra bien les voir – le grain de sénevé sans lequel notre monde s'enfoncerait dans l'indifférence.
Frédéric-Charles Baitinger
Il n'est pas de meilleur voyage que celui immobile du corps, qui laisse l'âme libre de vagabonder. Lorsque l'âme largue l'amare du corps, elle s'éloigne des pays terrestres pour atteindre des contrées beaucoup moins physiques mais d'autant plus réelles. Parce qu'elle offre des rivages enchanteurs, peuplés de couleurs et d'histoires, la peinture de Danielle Le Bricquir est sans nul doute un monde offert à ce ravissement.
La traversée ne peut toutefois guère se faire sans disposition particulière : le contemplateur se doit de quitter l'esprit adulte pour gagner l'âme d'enfance. Il faut retourner en ces premiers moments où les histoires se racontent, instants où contes et légendes sont vrais, puisque le mensonge et la fausseté n'existent pas encore – ces récits ne peuvent qu'être authentiques, car ils sont faits de mots bien réels. Les coups de pinceau de Danielle Le Bricquir ont l'inflexion des voix des conteurs. Ses toiles sont peintes de paroles inarticulées qui en disent tout autant que les innombrables vers des fables légendaires.
Dans les récits entoilés de l'artiste, l'ouest côtoie l'extrême occident : les landes bretonnes et l'Amérique du Sud forment un seul et unique embarcadère pour l'évasion. L'Atlantique sépare les continents sur la surface du globe, mais seules les mers des contes et des fables permettent de gagner les confins mythologiques de la peintre. La mythologie de Danielle Le Bricquir suit ainsi le chemin de toutes les autres : elle se nourrit des différents récits que l'humanité porte et colporte. Chaque oeuvre raconte une histoire, ou s'inscrit dans un cycle fabuleux : le Petit Prince, le roi Arthur, le personnage de Frida Kahlo... Voilà donc l'univers dans lequel vient puiser l'artiste. Elle y cueille les mots et les incarne en peinture sans pour autant jamais faire de l'illustration. L'illustration n'est qu'une image aux ailes coupées par sa fidélité à l'histoire écrite. A l'inverse, l'artiste peint en liberté, car jamais un récit ne vient lui dicter de bout en bout son oeuvre : au contraire, chaque légende qui l'inspire lui livre des bribes mythiques, que la peintre assemble ensuite comme des fils dans la trame de sa toile.
Chaque oeuvre est alors une histoire tissée de mythes, mais la peinture lui donne une chair et une peau qui la rend autre. Comme les coups de pinceau recouvrent de peinture le blanc de la toile et l'occulte, la peinture elle-même fait presque oublier l'histoire qui l'a déclenchée. Au-delà de la construction mythologique qui est l'étincelle de l'oeuvre, chaque tableau est une construction picturale. La ballade mythique n'est pas une balade picturale : chaque couleur est pensée comme un élément de la grande harmonie esthétique qui n'a rien à voir avec une fable. La liberté de l'artiste s'exprime justement dans cette quête de peintre qui la fait cesser d'être narrateur.
Le travail, source et conséquence de la liberté de Danielle le Bricquir, réside donc dans son usage rigoureux de la couleur. Cette couleur ne vient pas qu'orner la toile, ou donner une atmosphère au récit qu'elle raconte ; au contraire, elle indique une marche. Composée des différents tons du tableau comme un récit se forme de mots, la couleur donne un récit plastique. Elle permet à la peinture de prendre parfois le volume de la sculpture – ce changement de dimension ne change néanmoins rien à la définition de l'oeuvre : elle est toujours peinture, mais une sorte de peinture double, qui se multiplie ou se déploie.
Cette peinture en mouvement symbolise ainsi le chemin nécessaire au contemplateur : le récit de l'oeuvre doit être perçu avec l'âme d'enfance, et non avec les yeux raisonneurs de l'adulte. La jouvence nouvelle, artistiquement retrouvée, permet de gagner le monde fabuleux de l'artiste, et plus encore celui des grands récits humains. La couleur a cette vertu : en animant la toile, elle provoque l'indispensable voyage de l'âme autant qu'elle la ranime.
Le monde mythologique de l'artiste déclenche sa peinture, mais il ne la bride pas. Si ce sont des mots – les mots du monde, ceux des récits d'ici et d'ailleurs ; les mots de l'artiste, ceux que la peintre découvre en elle et qu'elle note sur ses innombrables carnets ; les mots du tableau, ceux qui composent son titre et qui influent sur le contemplateur – si ce sont donc des mots qui provoquent le premier geste pictural, la secrète harmonie de la couleur dirige la marche de l'oeuvre. Et le contemplateur d'oublier tous ces récits pour s'émouvoir devant ces tableaux – s'émouvoir, ou laisser l'âme livrée à ses transports.
Montreuil, le 3 octobre 2014.
Célian de Préval.
Danielle le Bricquir Rêve et mythe
Les œuvres que nous rencontrons dans nos pérégrinations subjectives dans les musées, les expositions et dans les livres d’art, modifient la perception que nous avons du monde, du paysage, de la figure humaine. Même les objets prennent une dimension différente, évoquant au-delà d’eux-mêmes, un monde ajouté, un supra langage murmurant.
La poésie torturée que Van Gogh a imprimée à jamais à la simple chaise en bois à l’assise tressée provoque une émotion particulière lorsque nous la reconnaissons dans un vide grenier.
La fonction de la peinture est précisément d’agir sur nos sens et d’intensifier notre pouvoir de percevoir les choses réelles ou bien les souvenirs. C’est ainsi que le monde s’ouvre à nous à plusieurs registres et la réalité déferle sur nous à plusieurs voix.
Après des cours de peinture classique, éveillée par la liberté des artistes du mouvement Cobra, Danielle Le Bricquir peint autrement. Elle délie les formes et les perspectives. Elle fait perdre à l’espace ses repères et laisse travailler le temps semblable à une machine à faire remonter les images du passé. Les couleurs chaudes et froides se touchent, se superposent, entrapparaissent en créant un climat visuel à part. Sa chère Bretagne et ses mythes apparaissent à travers des transparences savantes. Les paysages vacillent comme les algues dans la mer et semblent situés dans la demeure de la Fée Viviane, au fond de l’eau.
Parfois ses personnages se détachent du fond paraissant découpés comme des bas-reliefs. Ses sculptures en trois dimensions semblent franchir l’illusion de l’espace illimité de la toile, se positionnant dans l’espace achevé du réel. Entre le fini et l’infini, le travail de la mémoire, et entre le mythe et la réalité, elle crée des correspondances oniriques.
En Bretagne, il existe encore des druides et des guérisseurs, le pays est façonné par ses mythes, ses nuages, et les embruns de la mer. Des personnages aux yeux ronds, aux regards pénétrants, aux regards de colère, ou bien saisis d’effroi, ou de malice côtoient ceux qui préfèrent garder les yeux fermés. Plongés dans un sommeil profond, sur leurs lèvres fermées ils esquissent un sourire secret, des ânes, de chevaux, des cerfs, des enfants.
Un seul coup d’œil ne suffit pas pour embrasser ses toiles. Il faut les examiner comme on considère un rêve. À des endroits inattendus des minuscules détails sous la forme d’écritures, collages, graffitis, photographies précisent les scènes, ou bien les rendent encore plus lointaines et plus énigmatiques.
Des visages, des villages... Un musicien joue de l’accordéon. Un monde en lévitation prend vie rappelant le shtetl de Vitesbek dans la peinture de Chagall. L’enfance de l’artiste réapparaît à travers le prisme de la mémoire et de l’émotion. Danielle nous parle avec humour d’un monde qui a réellement existé, avec le paysan qui coupe le bois à la hache, se déplaçant en charrette, avec la vieille femme qui tricote, qui porte fichu et sabots : « C’est mon grand père, ma grande mère, mon frère, c’est moi...» Dans sa rêverie le monde créé c’est le temps retrouvé. Un monde aux allures idylliques remplace la douloureuse absence.
L’œuvre de Danielle est construite sur une constante : Le passé individuel rejoint le passé archaïque de l’humanité. L’ensemble « L’Ankou ou Le Jardin des Vanités » en est un autre exemple. Il est inspiré du culte de morts que berce la Bretagne et qu’elle découvre sous une autre forme au Mexique. « Le mythe est un vestige conservé dans la vie psychique du peuple et le rêve est le mythe de l’individu, »écrit Karle Abraham dans son ouvrage Rêve et Mythe. Du rêve et du mythe Danielle Le Bricquir en fait la matière de son œuvre.
Ileana Cornea Paris octobre 2014
Danielle le Bricquir Rêve et mythe
Les œuvres que nous rencontrons dans nos pérégrinations subjectives dans les musées, les expositions et dans les livres d’art, modifient la perception que nous avons du monde, du paysage, de la figure humaine. Même les objets prennent une dimension différente, évoquant au-delà d’eux-mêmes, un monde ajouté, un supra langage murmurant.
La poésie torturée que Van Gogh a imprimée à jamais à la simple chaise en bois à l’assise tressée provoque une émotion particulière lorsque nous la reconnaissons dans un vide grenier.
La fonction de la peinture est précisément d’agir sur nos sens et d’intensifier notre pouvoir de percevoir les choses réelles ou bien les souvenirs. C’est ainsi que le monde s’ouvre à nous à plusieurs registres et la réalité déferle sur nous à plusieurs voix.
Après des cours de peinture classique, éveillée par la liberté des artistes du mouvement Cobra, Danielle Le Bricquir peint autrement. Elle délie les formes et les perspectives. Elle fait perdre à l’espace ses repères et laisse travailler le temps semblable à une machine à faire remonter les images du passé. Les couleurs chaudes et froides se touchent, se superposent, entrapparaissent en créant un climat visuel à part. Sa chère Bretagne et ses mythes apparaissent à travers des transparences savantes. Les paysages vacillent comme les algues dans la mer et semblent situés dans la demeure de la Fée Viviane, au fond de l’eau.
Parfois ses personnages se détachent du fond paraissant découpés comme des bas-reliefs. Ses sculptures en trois dimensions semblent franchir l’illusion de l’espace illimité de la toile, se positionnant dans l’espace achevé du réel. Entre le fini et l’infini, le travail de la mémoire, et entre le mythe et la réalité, elle crée des correspondances oniriques.
En Bretagne, il existe encore des druides et des guérisseurs, le pays est façonné par ses mythes, ses nuages, et les embruns de la mer. Des personnages aux yeux ronds, aux regards pénétrants, aux regards de colère, ou bien saisis d’effroi, ou de malice côtoient ceux qui préfèrent garder les yeux fermés. Plongés dans un sommeil profond, sur leurs lèvres fermées ils esquissent un sourire secret, des ânes, de chevaux, des cerfs, des enfants.
Un seul coup d’œil ne suffit pas pour embrasser ses toiles. Il faut les examiner comme on considère un rêve. À des endroits inattendus des minuscules détails sous la forme d’écritures, collages, graffitis, photographies précisent les scènes, ou bien les rendent encore plus lointaines et plus énigmatiques.
Des visages, des villages... Un musicien joue de l’accordéon. Un monde en lévitation prend vie rappelant le shtetl de Vitesbek dans la peinture de Chagall. L’enfance de l’artiste réapparaît à travers le prisme de la mémoire et de l’émotion. Danielle nous parle avec humour d’un monde qui a réellement existé, avec le paysan qui coupe le bois à la hache, se déplaçant en charrette, avec la vieille femme qui tricote, qui porte fichu et sabots : « C’est mon grand père, ma grande mère, mon frère, c’est moi...» Dans sa rêverie le monde créé c’est le temps retrouvé. Un monde aux allures idylliques remplace la douloureuse absence.
L’œuvre de Danielle est construite sur une constante : Le passé individuel rejoint le passé archaïque de l’humanité. L’ensemble « L’Ankou ou Le Jardin des Vanités » en est un autre exemple. Il est inspiré du culte de morts que berce la Bretagne et qu’elle découvre sous une autre forme au Mexique. « Le mythe est un vestige conservé dans la vie psychique du peuple et le rêve est le mythe de l’individu, »écrit Karle Abraham dans son ouvrage Rêve et Mythe. Du rêve et du mythe Danielle Le Bricquir en fait la matière de son œuvre.
Ileana Cornea Paris octobre 2014
Danielle Le Bricquir : Singulier, pluriel ; menhir, dolmen.
Contre vents et marées, depuis des décennies, Danielle Le Bricquir garde le cap. Il lui faut sans cesse traverser l’amer du monde pour accoster aux rives du rêve. Droite dans ses boites de couleurs, hissant pinceau ou ciseau au mat de misère de notre condition elle laisse une étrave toujours plus lumineuse, fraîche et…bouillonnante.
En comparaison plus qu’à partir d’une simple assonance, le menhir pourrait bien symboliser Le Bricquir : une artiste implantée dans un terroir, une civilisation, pierre dressée contre la laideur, la vulgarité, la banalité, le renoncement.
Née à Paris mais comme tous les créateurs inspirés, aspirés par leurs racines, leurs origines, ayant le don d’ubiquité, elle sait se dédoubler : vivre dans la capitale française et œuvrer en Bretagne, Perros-Guirec. Etre de et dans ce monde et fréquenter l’autre. Mais que l’on ne se trompe pas… Il faut écouter l’écho de ses personnages, le murmure de ses couleurs et sa déclaration simple et claire : « Evidemment mon travail est en lien avec les mythes en général, les contes de Bretagne tout particulièrement… Mais c’est du coté des légendes Arthuriennes, du Roi Arthur donc, de Guenièvre, de Lancelot et non du côté de l’Ankou qu’il faut voir ma peinture. » Danielle Le Bricquir est du côté clair de la Force. Forces telluriques, tourbillons de la mémoire universelle et du souvenir de chacun. Grand chambardement du cœur battant, de l’esprit vibrant. Nourri de sa vision du monde et de ses expériences, baptisé du sang et des larmes de sa vie personnelle, familiale, le vaste ensemble de dessins, peintures et sculptures signé Le Bricquir est au final un grand œuvre, alchimique ; décanté dans l’athanor de son atelier, nourri aux fourneaux des voyages, des rencontres et des amitiés qui parfois en découlent.
Singulière parce qu’entière, singulière et donc unique, telle est Danielle le menhir. Mais aussi, toujours mégalithique, hors des frontières de l’espace et du temps, plurielle, elle a su créer son identité, habiter son… dolmen. Le dolmen comme porte ouvrant sur l’ailleurs, comme arc, comme table des matières où, du minéral (le granit) source des pigments au végétal (le) chair de la toile, dans le grand mix des éléments eau-terre-air-feu, du sens et des sentiments, s’alignent les chapitres des mythes et des légendes. Des contes et des aventures. En épisodes ou en sagas.
Alors, puisque nous avons la manie de cataloguer, de poser des étiquettes, pour croire ainsi mieux situer choses, œuvres et gens, et pouvoir les ranger dans un tiroir ou un terroir… Que faire, que dire pour classer l’inclassable et peut être ainsi casser sa magie, pour situer ce travail qui peut en évoquer beaucoup d’autres mais reste si particulier, si indéfinissable ?
Danielle Le Bricquir est hors des courants, artistiques tout du moins puisque l’élément aquatique est très présent dans son œuvre, eau salée ou douce, et des écoles. Celles - et c’est ce qui, entre autres aspects, l’éloigne de l’art dit Brut - qu’elle fréquenta sont prestigieuses : l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris, là où elle suivit des cours d’histoire de l’art, et la Sorbonne où elle étudia la littérature. D. Le Bricquir n’est ni autodidacte (elle apprit la peinture dans les ateliers de Cremonini et Arditi) ni sans bagages universitaires. Elle soutint à la Sorbonne une thèse de doctorat dont la thématique était « Le groupe pictural Cobra et l’Ecriture ». Publiée aux éditions du Septentrion cette somme ne doit pas nous faire perdre le Nord mais éveiller notre regard sur les sources d’inspiration et de création de celle qui définit une de ses expositions de 2003 comme étant celle des « Celtamorphoses » (Galerie Home’Art, Perros-Guirec).
Le Nord donc avec les œuvres mordantes du groupe CoBrA à la fin du venin de la seconde guerre mondiale. L’acronyme des villes de résidence de la majeure partie de ses membres : Copenhague, Bruxelles, Amsterdam. Et ce royal serpent mua dans l’œuvre de Danielle Le Bricquir. Elle en garda quelques écailles, translucides, irisées ou lumineuses, magiques, inquiétantes et brutales. Celles, surtout, d’Asger Jorn, Corneille, Alechinsky et Jan Neieuwenhuys. Mais aussi, selon nous, beaucoup de Jan Elburg. Comme le souligne Benjamin Loustau: « Ne partage-t-elle pas avec les peintres de Cobra un expressionnisme puissamment coloré et plein de dynamisme ? ». Là est la première pierre, levée, et fondamentale ; la seconde serait celle de l’art naïf, de l’art populaire, de l’art primitif dans son essence. Danielle Le Bricquir sait parler directement : de l’œil au cœur, du cœur à l’Esprit, sans références et révérences. Parfois un petit clin d’œil à l’Histoire de la Peinture ; toujours un sourire en coin. Toujours de la poésie, du récit, de l’Imaginaire et à chacun de faire l’histoire qu’il a envie de lire entre les lignes, les formes, les motifs, les décors, les couleurs. Et jamais ne voir dans l’œuvre peinte un travail qui relèverait de l’ « illustration ». Ici le récit est La Toile, l’histoire dans le vocabulaire graphique, l’explication si tant est qu’il en fallait et que s’en est une dans le titre : « légende légendaire ». D’ailleurs Danielle Le Bricquir n’a jamais « fait » de livres « jeunesse », ses toiles se lisent certes et sont plutôt destinées aux vieux enfants que nous sommes tous.
Une œuvre narrative, littéraire, poétique. Conte à rebours, poème en prose, voyelles de Rimbaud, illuminations…Tout flotte librement dans l’air et l’éther des grandes énigmes de l’univers.
Alors si la seconde pierre du Dolmen Le Bricquir était celle de l’art qualifié de naïf, ne le soyons qu’après avoir savouré la réflexion de Stendhal : « La naïveté me semble le sublime de la vie ordinaire ». La vie ordinaire, l’art populaire, comme moyen – art de survivre – de l’appréhender dans son extra ordinaire. Extraordinaire puissance de l’art onirique. On songe alors « naïvement », c’est à dire sans malice, à André Bauchant, à Michel Noury et on sait que plane l’ombre lumineuse et luxuriante de l’ange tutélaire Henri Rousseau. Danielle Le Bricquir a su se dédouaner sans oublier…Alors, supportant ces bases - CoBrA d’une part, art naïf et populaire d’autre part -, ces influences, la dernière pierre permet de « situer » Danielle Le Bricquir comme faisant partie de la grande tribu de l’art singulier. Comme chacun de ses membres le fait, elle aussi se « singularise » : par le pluriel des subtiles variations de ses récits évoquant des personnages qui pourraient être chacun d’entre nous, notre double, ou légendaires, comme le Petit Prince ou encore, fameuse et réelle, femme et peintre, comme Frida Kahlo. Animaux, musiciens et danseurs, voyageurs ou sédentaires : songes de nuits d’été étoilées, rêves étranges de jours meilleurs. Dans l’œuvre de Danielle Le Bricquir il y a du Chagall et du Chaissac, du Klee aussi.
On le sait ou on le sent, on le voit ou on l’imagine, ici les farfadets et les korrigans dansent et ricanent dans la lande. D’aucuns ont même inscrit Le Bricquir dans un nouveau cénacle, le « Happy Art Contemporain ». Par Toutatis, si, certes l’art de Danielle Le Bricquir peut être (parfois) perçu comme joyeux, il s’en dégage, dans un humour pastel ou acidulé, surtout une poésie douce amère ; quelque chose du Paradis Perdu. Un Fantastique presque familier, un Merveilleux un rien mélancolique. Avec Danielle pas d’Alice au pays des merveilles, ni de petite maison dans la prairie. Chez elle les enfants sont rois, les petits bateaux, vélos ou phares sont dans la féérie.
Singulière, son œuvre s’inscrivit dans la Collection Céres Franco, à Lagrasse. Danielle-Viviane, la dame du LaM puisque dans le fonds de ce prestigieux musée on trouve quelques unes de ses œuvres issues de L’Aracine. Le Bricquir au Printemps des Singuliers, à L’œil de Boeuf, au Musée de Bègles et au musée Guislain, de Gand. Singulière et plurielle Danielle Le Bricquir, artiste pluridisciplinaire exposant partout dans le monde (de foire en salon : Puls’Art au Mans ou encore, aux Etats Unis, au Baltimore Folk & Visionary Art Show, à l’Ousider Art Fair de New York et celle de Chicago etc..) sait aussi être ambassadrice. Elle a promu les artistes singuliers au Salon d’art contemprain d’Istanbul et fait entrer l’art singulier au Salon d’Automne de Paris. Surprenante celle qui aussi organisa une première exposition en Bretagne intitulée « Etonnants Créateurs ». Avec elle, Le Bricquir, il n’y a plus d’enfant ou d’adulte, d’hier et d’aujourd’hui, il y a L’Enfance, Le Rêve, L’Espoir, Le présent du passe recomposé car comme vous pouviez le lire en un certain incertain joli mois de mai, lors des « évènements », génération spontanée : « Le rêve est réalité !», c’était à Censier…
Patrick Le Fur
Paris, novembre 2014.